LA CASE PRISON
Volet N°1
Bonjour à vous.
Heureux de vous retrouver après deux mois de villégiature forcée dans les cachots de la République.
Avant tout je voudrais adresser un grand MERCI à toutes celles et ceux qui m’ont soutenu de diverses manières, en particulier Pierre Salvaing et François Paumier. Grâce à vous, la rêche punition fut adoucie. L’empathie peut passer à travers des barreaux et personne ne peut l’en empêcher.
À présent que me voilà dehors, et mesurant ce que la rumeur a pu colporter sur les raisons de cette incarcération, je vais en retracer l’historique pour en éliminer les inexactitudes. Ce recadrage sera utile pour comprendre ce qui s’est réellement passé et aussi ce qui est à venir (car nous ne sommes pas à la fin de quelque chose mais à peine quelque part sur le gué).
D’abord, pourquoi m’a-t-on emprisonné?
À l’origine pour avoir tagué les abords de la grotte du Mas d’Azil en juillet et août 2013. (Au mot tags j’ai toujours préféré celui de fresques car mon intention picturale - en de-ça de mes intentions “politiques” - était effectivement de réaliser des fresques, avec la rigueur et le soucis esthétique dont je ne me départis jamais, tout le contraire d’une dégradation).
Pourquoi ces fresques?
Un article paru récemment dans l’Art en Marche le résume très bien: «Claudius est en effet puni pour avoir tagué à plusieurs reprises, avec des vulves faites au pochoir, les bâtiments alentour du site de la grotte du Mas d’Azil, pour protester contre la coûteuse en argent public et incongrue introduction d’art contemporain international dans ces magnifiques grottes préhistoriques, qui n’avaient pas besoin de cette occupation abusive et de ce mélange des genres... D’ailleurs, les chauves-souris du lieu avaient, il y a trois ans, dévoré une partie des œuvres pour manifester aussi leur réprobation devant ce parasitage irrespectueux de chefs-d’œuvre de l’art rupestre par des stars du financial art.»
En résumé je voulais qu’on rende la grotte à elle même, à ce qui lui reste de virginité et d’authenticité (il lui en reste si peu me direz-vous...), et surtout qu’on arrête de jongler indécemment avec l’argent du contribuable comme avec des confettis, et que cesse ce système élitiste et pervers qui n’engraisse que des artistes déjà bien gras et affame les autres, les maigres, avec le mépris en sus. Plus largement c’est au Système que je me suis attaqué, obèse mammouth aux pattes d’airain et d’argile que la piqûre d’un moustique a suffit à enfiévrer.
Les organisateurs de ces gâchis, la Caza d’oro, les Abattoirs et la Mairie du Mas d’Azil ont considéré que mon geste de protestation constituait une DÉGRADATION du lieu. Ils ont porté plainte et j’ai écopé d’une amende de 6065,40 €, 2 mois de prison avec sursis, 60 heures de TIG (Travaux d’Intérêt Général) et 18 mois d’interdiction de fréquenter la grotte et ses alentours immédiats (il était assez drôle de voir que des mesures d’interdiction de séjour, qu’on rencontre plus spécifiquement dans les pays totalitaires, s’appliquassent ici, en Terre d’Azil. La justice a voulu m’intimider en y ajoutant l’humiliation, elle n’a réussit qu’à se rendre risible, dérisoire, déplorable).
Venons-en à la seconde phase, celle qui va transformer les 2 mois de prison avec sursis en prison ferme.
Le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) m’avait proposé de faire les 60 heures de TIG dans la commune du Mas d’Azil. J’ai accepté avec joie: j’allais pouvoir me rendre utile dans le village où j’habite et auquel je suis attaché par le simple fait que c’est là qu’est installé mon cher vieux Affabuloscope, et que j’espérais fort qu’on m’employa à réfectionner la Rue de l’Usine qui, vous le savez peut-être (en tout cas ceux qui y ont promené leurs pénates) est l’une des plus délabrées et délaissées du village, et cela depuis la fermeture de l’Usine Dedieu il y a 30 ans.
Mais voilà, la mairie du Mas d’Azil a refusé les TIG. Pas faute d’avoir insisté. Madame Anne Burille, du SPIP, m’a dit texto: «Je leur ai envoyé plusieurs courriers [à la mairie] depuis trois mois, et je n’ai aucune réponse. Comme on ne peut les forcer à accepter, il va falloir envisager que vous fassiez vos TIG dans une autre commune». Elle a donc démarché dans les communes environnantes et c’est les Bordes/Arize qui a répondu présent. Rendez-vous a été pris avec le nouveau maire, M. de Saint Blanquat. Et cette fois c’est moi qui ai opposé un refus.
Pourquoi?
Pour, encore une fois, manifester ma réprobation.
À quel propos?
Eh bien voilà: un an plus tôt j’avais érigé une stèle - dans le cimetière de ce village - à la mémoire du poète Fernand Icres (1856-1888). Pourquoi cette stèle? Parce que Icres avait été enterré là mais personne n’a jamais pu retrouver sa tombe (pour plus de détail voir ici). J’ai voulu réparer les outrages du temps et de l’oubli en dressant une pierre à l’épitaphe du poète - qui de son vivant rêvait de gloire, mais mourut phtisique dans l’ombre et la misère à l’âge de 32 ans. Cette stèle n’a pas été aussitôt érigée que les employés municipaux de la commune, sur ordre du maire (l’ancien: M. Loubet), l’ont détruite.
En refusant les TIG aux Bordes/Arize j’ai voulu marquer ma réprobation contre cette destruction. Destruction qui n’était sans doute pas directement dirigée contre le poète Icres, ni contre le fait que la stèle ait été érigée sans autorisation, mais juste parce que c’était Claudius de Cap Blanc qui l’avait érigé. Toute pierre érigée par Claudius, dans ce département, une fois sur deux, fait l’objet d’un bannissement, d’une destruction, ou de plainte pour “dégradation”. Destructions qui se font toujours en catimini. Qu’on se souvienne des menaces de mort reçues dans ma boîte à lettres:
«ON VA TE CREVER TOI ET TES CAILLOUX».
Pourquoi donc ces “cailloux” sont-ils à ce point haïs et victimes de la vindicte publique? Parce qu’ils portent un signe, un symbole vulvaire qui fait problème aux yeux de quelques uns (comme des dessins caricaturaux d'un prophète font problème pour d'autres?).
Graver, dessiner ou peindre ce signe, que pourtant les Paléolithiques vénéraient dans leur grotte, est aujourd’hui, dans ce pays, un péché. Qui sait si en un autre siècle on eu pas mis Claudius au bûcher pour ce sacrilège rupestre? (On y reviendra puisque je dois comparaître le 15 mai prochain devant le Tribunal Correctionnel de Foix pour avoir, une énième fois, tenté de défendre une pierre vulvaire qui, dans l’arbitraire le plus absolu, a été bannie par un autocrate local, président de l’Office de Tourisme du Mas d’Azil et adjoint au maire).
Mais revenons à ce refus des TIG dans la commune des Bordes. Madame Burille m’a clairement averti que si je persistais dans mon refus, on me mettrait en prison. Comme cette perspective ne m’enchantait guère, j’ai lâché du lest. En fait je souhaitais que tout le monde y mette du sien, à savoir que Monsieur de Saint Blanquat, fort de son autorité, consente à enquêter dans sa commune pour savoir ce qu’on avait fait de cette stèle, et, si on la retrouvait, entière ou en morceaux, qu’il me soit possible d’utiliser le temps des TIG pour la reconstruire. La mémoire du poète Icres le valait bien, non?
Malheureusement mes souhaits n’ont pas été pris en compte. On y a préféré l’application stricte de la loi: l’emprisonnement pur et simple. (La loi n’a aucune poésie, aucun sentiment esthétique dans les tripes, elle est sèche comme un coup de trique et revêche comme une peau de vieille vache).
Quelque temps avant mon incarcération j’ai envoyé un mot à Monsieur de Saint Blanquat pour l’inciter à bouger: voulez-vous oui ou non qu’on reconstruise une stèle à la mémoire du poète Icres? Pas de réponse.
Plus récemment, alors que j’étais derrière les barreaux, je lui ai écrit une seconde fois, plus longuement et avec un esprit de conciliation. Il n’a toujours pas daigné me répondre. (J’ai l’habitude que les élus à qui j’écris ne me répondent pas. En 2010 j’ai écrit aux 332 maires des 332 communes du département pour leur proposer un projet de Monument-aux-Vivantes. Savez-vous combien m’ont répondu?
ZÉRO!
(Si j’excepte M. Ramon Bordallo, maire de Loubaud, qui souhaitait - et c’était tout à son honneur - consulter démocratiquement les 31 habitants de sa commune avant de décisionner. Au final le Monument-aux-Vivantes, faute de soutien, d’enthousiasme et de terre d’accueil, a été érigé chez moi, par moi, devant l’Affabuloscope).
De vous à moi j’aimerais que cette stèle soit reconstruite, d’abord parce que Fernand Icres, mon frère en poésie, ne mérite pas que son épitaphe reste aux orties, ensuite parce que ça donnerait une sorte d’utilité à ma peine de prison qui sans cela n’aura servi à rien sinon à satisfaire un article de loi (et la vengeance jouissive d’une poignée de contempteurs).
Voilà pourquoi je demande à tout ceux qui m’ont envoyé des messages de soutien lorsque j’étais derrière les barreaux d’écrire à M. de Saint Blanquat, pressez-le d’accepter qu’on reconstruise - ensemble - une stèle pour Fernand Icres. (Je précise que ce maire, lorsque nous étions rencontrés dans son bureau avec Madame Burille, ne m’avait laissé que des impressions d’affabilité, d’ouverture, de bienveillance.) Écrivez-lui, il vous écoutera. (Tant que vous y êtes écrivez aussi à M. Berdou, maire du Mas d’Azil, pour lui dire qu’il retire sa plainte, ce qui m’évitera peut-être l’huissier et la fermeture de l’Affabu, et au bout du compte la ruine).
Ce n’est pas tout. Lorsque, avant que soit signée ma mise en écrou, j’ai été convoqué une dernière fois devant la juge d’application des peines, où l’on m’a mis en demeure de régler fissa l’addition (paiement de l’amende + TIG), j’ai opposé un refus net, et celui-là motivé par une question plus générale: ce que je refuse, que j’ai toujours refusé, que je refuserai toujours, c’est la qualification de ma condamnation qui tient en un mot: DÉGRADATION. Or je n’ai pas dégradé la grotte, j’ai fait tout le contraire: non seulement je l’ai orné de fresques (aspect artistique) mais j’ai voulu la défendre contre le parasitisme intrusionnel coûteux dont elle était victime (aspect politique). Autrement dit j’ai fait œuvre de salubrité publique. Aussi devrait-on m’en remercier, et même me récompenser avec force défraiements d’avoir mis un frein à cette débauche de paillettes quand, à côté de ça, des infirmières et des sage-femmes sous payées doivent se battre bec et ongle pour obtenir les dix euros d’augmentation qu’on leur refuse.
Accepter ma condamnation ç’eut été renoncer à une certaine idée de l’art, à une éthique; ç’eut été renier ma démarche, mon travail, et ne plus pouvoir me regarder dans une glace. Comment accepter que le-dit travail soit un délit, une action négative pour la société alors que mes visées viscérales et primordiales sont à l’opposé?
Il y a cependant, sous-jascentes, d’autres raisons au fait qu’on m’ait jeté en prison. J’ai commis d’autres péchés, vous comprenez? D’abord celui d’être un artiste intransigeant et non conforme aux normes en vigueur. Et qui dérange quelque chose de l’ordre social, du Système. Le Système n’aime pas les électrons libres, les “incontrôlables”, il célèbre volontiers les transgresseurs mais à condition que ceux-ci restent à l’intérieur des murs, dans la cour de récrée, et que tout soit convenu, que tout le monde se tienne la main, l’Institution, les Marchands et les Producteurs (appelés aussi Artistes), dans “un esprit festif de convivialité”, de “rencontres et d’échanges”, du “vivre ensemble”, tout ces nouveaux diktats au service du grand spectacle d’une société qui n’a plus que ça, le spectacle, le divertissement, la starisation à proposer, dès lors qu’on été éliminées les valeurs transcendantes qui prévalaient depuis 40 000 ans et dont la modernité triomphante a cru pouvoir se passer.
Un autre péché: les pierres et le symbole vulvaire qu’elles arborent. Pour moi c’est une manière quasi mystique de célébrer quelque chose du mystère du Féminin Sacré, rejoignant en cela mon vieil ancêtre paléolithique qui, dans les cathédrales qu’étaient les grottes naturelles, faisait de même. Notre culture occidentale a depuis longtemps un problème avec le Féminin et aurait besoin d’une bonne psychanalyse de groupe, et même d’un bon lavage de cerveau pour en retirer les toxines patriarco-machistes héritées du judéo-christianisme. (Bien qu’il n’y ait pas que l’Occident qui ait un problème avec le Féminin: y a qu’à voir Megumi Igarashi, cette artiste japonaise qu’on a elle aussi emprisonnée pour son “art vaginal”.)
Il y a une constante dans l’histoire de l’art depuis au moins cinq siècles (c’est tout aussi valable dans l’histoire des religions): les artistes qui ont ouvert des voix nouvelles, ou qui ont bifurqué sur les côtés, ou même emprunté des sentiers à rebrousse poil, loin des balises de sécurité, ont toujours eu à subir les foudres de leurs contemporains classiques. L’œil oblique de la bien-pensance... Le bûcher de la Sainte Inquisition... Le jugement populaire des “braves gens”... Seule la postérité réhabilite - parfois - l'artiste maudit, l'hérétique, celui qu'on prend pour un illuminé, un psychopathe, un asocial, une "sorte de mystique dans le refus du monde", un fou, et qui n'est en fait qu'un moraliste, « un combattant de la vérité par d’autres formes que le concept, qui perpétue la tradition d’un art au service de la transcendance dans un monde désormais désenchanté. D’où son refus coûteux de devenir un artiste de cour, un collabo ; un faux génie mondain désengagé comme le photocopiste Andy Warhol, ou quelque autre fumiste à la Daniel Buren. » (A.Soral).
Je ne crois pas que je vais attendre le jugement incertain de la postérité. Mon “travail en cours” se poursuit, et les condamnations, les anathèmes et la prison n’en sont que des épisodes. Partie intégrante du tableau. On ne fait pas œuvre qu’avec des pastels tendres. Il n’y a pas un jour de prison qui n’ait été envisagé comme le coup de pinceau du pointilliste sur sa toile. On peut faire œuvre n’importe où et avec n’importe quoi.
Que fait l’alchimiste? Il prend du plomb et essaye d'en faire de l'or. Que fait l’artiste? Il ramasse un caillou et en fait une histoire qui parle à l’universel. Tout ces agissants n’y réussissent pas toujours. Le plomb reste du plomb, mais l’acte qui voulait en faire de l’or, c’est lui qui contient l’or... Un or dont la brillance dépasse les bras du faiseur, se voit de loin, jette des lueurs jusqu’aux antipodes...
Bien à vous
Prochainement:
Volet N°2: Buffet froid: lasagnes à midi, raviolis le soir
Volet N°3: Splendeurs et misères de l'incarcération
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