VOLTAIRE, XIAOBO ET LES INSTANCES AUTORITAIRES
En inaugurant cette actualité périodique, il y a quelque temps, je m’étais imposé la règle de ne me consacrer qu’aux choses qui concernent l’infra-microcosme affabulatoire, et de ne jamais toucher à la “vraie”actualité du monde, qui est suffisamment tambourinée, pré-moulue, pré-mâchée, pré-digérée et pré-chiée par la kyrielle des médias officiels. Mais il vient de se passer deux événements ces derniers jours qui ajoutent à la grimace du temps*. Il s’agit d’abord du refus du gouvernement chinois de laisser Liu Xiaobo se rendre à Oslo, recevoir son Nobel de la Paix.
Ensuite c’est le cubain Guillermo Farinas, lauréat du Prix Sakharov, qu’on empêche d’aller au Parlement Européen.
Deux chaises vides.
Je sais qu’on n’évitera pas le ressassement litanique si on remet sur le tapis et la liberté d’expression et la liberté de circulation. Sujets de toujours, même si les géants des Lumières, Diderot, Voltaire, Rousseau... croyaient mordicus que viendrait un temps où chacun pourrait s’exprimer - et circuler - en toute liberté. (On pouvait encore se payer le luxe d’être naïf en ce temps là. Plus aujourd’hui. Et c’est dommage, c’était bien, ça donnait envie de se bagarrer pour réduire le despotisme).
Bien que la liberté d’expression ait fait du chemin depuis l’absolutisme du Roi Soleil, il se trouve encore ici et là - et plus qu’on ne croit - des gens muselés par des Instances Autoritaires anormalement investies du pouvoir de censurer, du pouvoir d’empêcher un homme ou une femme de parler ou d’écrire - et de circuler -, alors que l’acte de parole et d’écriture - et de circulation - devrait être considéré par tous comme liberté première et essentielle, non susceptible d’entrave de quelque manière que ce soit (ça me fait drôle d’énoncer ce lieu commun que chaque génération reprend, et qu’il faudra probablement reprendre encore longtemps, et peut-être davantage demain qu’aujourd’hui).
On sait cependant qu’il y aura toujours sur terre un homme ou une instance pour dire à l’autre: — Tais-toi! et pour tenter de le faire taire de gré ou de force. Et pour l’assigner à résidence. Tout simplement parce qu’il y aura toujours des hommes et des femmes pour dire des choses que d’autres ne veulent pas entendre.
Au niveau individuel, je ne sais pas si on peut faire grand chose pour le chinois Xiaobo et le cubain Farinas, et pour les centaines d’autres dont on ne parle pas, ou très peu et pas souvent. Signer des pétitions? Brandir des pancartes? Trépigner dans son carré? Postillonner? À chacun de voir. D’ailleurs ces personnages n’ont peut-être pas besoin de nous, ils assument ce qu’il sont et ce qu’ils font. Ce serait plutôt nous qui aurions besoin d’eux, de leur exemple, de leur intégrité, de leur courage. Ce que nous pouvons, en revanche, et tout de suite, et chacun, et partout, c’est élargir un peu l’horizon de notre esprit, accepter qu’il puisse y avoir des gens qui ne pensent pas comme nous, qui parlent, écrivent véhiculent des idées qui ne sont pas les nôtres. Il y a un mot de Voltaire qu’on devrait se tatouer sur le buffet, en majuscules:
JE HAIS VOS IDÉES,
MAIS JE ME BATTRAI POUR QUE VOUS PUISSIEZ LES EXPRIMER
Oui, il y a des paroles, des écrits, des idées que l’on peut vomir à longues gerbes, mais de quel droit tenterions-nous de fermer le bec de ceux qui les émettent? Avons-nous raison sur tout? Possédons-nous la science infuse? Détenons-nous la vérité unique? Sommes-nous capables d'un jugement objectif, infaillible?** Non, même le plus sage des sages n’a raison que pour lui-même. Même quand nous avons la conviction profonde d’être du côté de la raison, du bon sens, du “souverain bien”, on peut encore douter que cela soit valable pour d’autres.
Les gens qui ont condamné Galilée étaient certains que le soleil tournait autour de la terre.
Au nom de Dieu.
Ceux qui ont fait brûler Giordano Bruno étaient convaincus de la virginité de Marie et n’auraient pour rien au monde remis en question cette “vérité”.
Au nom de la Vérité. (Ils pouvaient donc se croire autorisés à imposer cette vérité puisqu'elle était indiscutable)***.
On pourrait aligner des exemples d’ici à là-bas en faisant une boucle par l’hémisphère boréal tellement y en a. Mais on ne va pas y passer la matinée.
Une certitude n’est pas une vérité, ou si elle l’est, elle ne peut l’être que par "décision" personnelle n'engageant que soi. (C’est valable pour ce que je viens d’affirmer). Aussi chacun peut-il écrire son livre de recettes, il peut le vendre à la criée, et ceux dans les mains desquels il tombe peuvent aussi bien s’en torcher la raie que l’encadrer sous verre avec un cierge et des bâtons d’encens.
L’idéal serait que chacun dise ou écrive ce qu’il veut, et que chacun accepte que chacun puisse le faire. Qui peut dénier à quiconque le droit de s’exprimer? Quand même ce quiconque affirmerait aujourd'hui que la terre est plate, et demain le contraire (il y a bien des créationistes américains pour affirmer mordicus que le monde a été crée par Dieu il y a six mille ans. Il se trouvent même des gens, très croyants, pour trouver juste et bien qu’une femme iranienne soit lapidée pour adultère. Évidemment, quand j'entends ce genre de chose j'en ai les boyaux qui font des noeuds. Mais c'est sûrement la faute à mes boyaux... ).
Tu peux tout penser et même le dire. Tout! C’est un droit que je te reconnais sans lésiner, comme je me reconnais celui de t’ignorer ou de te répondre. Mais si je te réponds, ce ne sera pas par des moyens coercitifs, seulement par des moyens qui ne porteront pas atteinte à ton intégrité physique, c’est-à-dire avec le silence, la parole ou l’écrit. Mais si d’aventure je commence à saisir un bâillon, des menottes, un fusil, si je commence à mettre des flics devant ta porte, à t’empêcher d’aller et venir, alors je me situe dans le camp de l’Instance Autoritaire, du côté du pouvoir répressif, le pire des camps, parce qu’il ne tolère que ce qui ne menace pas ses intérêts. Mais qui montre sa faiblesse et tremble comme une feuille dès qu’on dénonce ses mensonges, ses magouilles, ses escroqueries, ses abus en tout genre, et qu’on met publiquement un miroir devant sa trogne.
On croit que pouvoir et force sont synonymes. Non, tout pouvoir est fragile, et le montre au yeux de tous quand il craint un seul homme qui n’a pour arme que du papier et un crayon. La Vaste Chine, la Grande Chine a peur du lilliputien Xiaobo; en laissant voir au monde cette peur, elle montre non sa grandeur mais sa petitesse, non sa force mais sa faiblesse. Quand la force ne peut s’exercer que par la coercition, elle n’est pas force mais aveu de faiblesse. La vraie force est ailleurs, chez ces solitaires, ces Xiaobo, ces Farinas, ces Voltaire qui se donnent le droit de penser et d’écrire et pour qui le pouvoir est davantage un aiguillon qu’un empêcheur.
Le pouvoir des Instances Autoritaires n’existe “que par le seul consentement de ceux sur lesquels il s'exerce”, il suffirait que ce consentement tombe pour qu’il cesse d’exister. Ça veut dire quoi? Ça veut dire que c’est nous, par notre consentement, notre acceptation, qui maintenons le pouvoir.
"Seuls les moutons ne s'insurgent pas"
* Et qui sont un excellent prétexte pour donner à mon actualité cachexique matière à écumer.
** Par définition, aucun jugement ne peut être objecif ou infaillible. Ca se saurait.
*** Tiens, on pourrait se demander s'il y a une seule chose au monde qui ne soit pas discutable. Mais faudrait avoir le temps.
Nota bene:
Ce texte donnera lieu prochainement à un acte performatif: la pierre vulvaire que voici...
...encagée dans du fil de fer, sera suspendue dans un lieu public. Elle revendiquera le droit d’être ce qu’elle est: une pierre vulvaire, et le droit d’être là, dans l’espace public.
Rien d’autre.
À charge pour ceux qui la rencontreront, simples citoyens ou Instance Autoritaire, de se comporter comme bon lui semblera. Peut-être se trouvera-t-il quelqu’un pour libérer la pierre, ou pour la conspuer, où la réduire en morceaux avec un marteau, où l’ignorer, ou l’emporter chez soi pour la mettre sur la commode du salon, ou pour la livrer simplement au container de la voirie. Je ne le saurai pas car ce ne sera pas mon affaire. Mon affaire va juste consister à la poser là, et c’est avec elle que le passant aura à faire ou à ne pas faire.
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